Durée : 3 ans
1. Contexte et objectifs généraux de la thèse
Cette thèse vise à améliorer la connaissance de la physique et la modélisation numérique des interactions vague-vague non-linéaires pour les états de mer, du domaine océanique à la zone côtière, en prenant en compte les effets d’un courant marin ambiant. Suivant les conditions de profondeur d’eau relative, les interactions dominantes s’effectuent entre 4 ou 3 ondes ; elles jouent un rôle fondamental dans la dynamique du champ de vagues et contrôlent la forme de la densité spectro-angulaire (ou spectre directionnel) d’énergie de l’état de mer (cf. revue de l’état de l’art de Cavaleri et al. (2007), par exemple).
Ces modifications de la forme du spectre d’énergie, correspondant à l’évolution des trains de vagues dans le domaine physique (forme et hauteur des creux et des crêtes des vagues, asymétries horizontale et verticale du profil des ondes, présence d’ondes longues, direction des vagues, etc.), sont fondamentales pour les applications en domaine maritime et côtier. Disposer de connaissances et de méthodes de prédiction plus précises est primordial pour, par exemple, maîtriser les conditions océano-météorologiques pour la conduite d’opérations en mer, le dimensionnement d’installations offshore et de structures côtières, etc.
Cette thèse vise à améliorer l’approche de modélisation stochastique (ou à phases moyennées) des états de mer, dans laquelle le champ de vagues est décrit de façon statistique au travers du spectre directionnel d’énergie (ou d’action). Il s’agit de développer et qualifier des formulations dans le domaine fréquentiel des mécanismes d’interactions non-linéaires vague-vague en moyenne et faible profondeur d’eau relative, à savoir les interactions résonantes à 4 ondes (« quadruplets ») et les interactions quasi-résonantes à 3 ondes
(« triplets » ou « triads »). Ces développements seront capitalisés dans le code spectral d’états de mer Tomawac, module de la plate-forme de modélisation Telemac-Mascaret diffusée en open source et largement utilisée par la communauté scientifique et technique (http://www.opentelemac.org/).
Les interactions entre quadruplets sont déterminantes pour représenter l’évolution du spectre de vagues de l’échelle océanique à l’échelle côtière (cf. figs. 1 et 2). Les interactions entre triplets jouent quant à elles un rôle primordial en zone côtière quand la profondeur d’eau est limitée et varie spatialement, notamment : formation de pics à des fréquences harmoniques de la fréquence de pic du spectre, transferts d’énergie vers les basses fréquences (ondes infra-gravitaires), formation de nouveaux pics directionnels pour les cas de spectres bimodaux (cf. exemple de mise en évidence expérimentale sur la fig. 3).
Une retombée attendue de ces travaux est l’amélioration des modèles numériques spectraux d’états de mer (et en premier lieu Tomawac), pouvant être utilisés pour des reconstitutions de climatologies d’états de mer à partir de réanalyses météorologiques (hindcast) et/ou pour des prévisions à court terme (i.e. quelques heures à l’avance) sur des sites côtiers ou en faible profondeur d’eau (i.e. dans des zones où les effets de bathymétrie sur les vagues sont significatifs).
Les bénéfices attendus de l’amélioration des conditions d’états de mer côtiers concernent en particulier l’estimation des hauteurs de vagues maximales, la prédiction des périodes et directions des vagues côtières, l’estimation des efforts sur les structures en mer (avec application à l’éolien en mer notamment), la connaissance du forçage hydrodynamique pour le transport des sédiments et la turbidité des eaux côtières, la prédiction de l’agitation dans les bassins portuaires, etc.
2. Objectifs de la thèse et programme de travail
2.1 Revue de l’état de l’art
La modélisation numérique des vagues peut être abordée via deux grandes classes de méthodes : (i) les méthodes dites déterministes (ou à « résolution de phase ») qui modélisent de façon déterministe l’évolution en espace et en temps d’un champ d’élévation de la surface libre de la mer (et les propriétés cinématiques associées), et (ii) les méthodes dites stochastiques (ou à « phases moyennées ») qui modélisent l’évolution en espace et en temps de grandeurs moyennes (ou caractéristiques) de l’état de mer, par exemple une hauteur significative de vague ou un spectre d’énergie des vagues.
Les méthodes déterministes offrent une représentation plus précise et complète du champ de vagues instantané (formes des vagues, crêtes et creux, phases relatives des vagues dans un train d’ondes, etc.) car elles sont fondées sur des modèles mathématiques proches des équations primitives d’Euler avec des hypothèses plus ou moins restrictives concernant la prise en compte des effets non-linéaires et dispersifs (éq. de Laplace, Boussinesq, Serre-Green-Naghdi, etc.). Toutefois, du fait des résolutions spatio-temporelles nécessaires (typiquement 20 à 100 points par période et par longueur d’onde), ces méthodes demandent des ressources de calcul importantes et sont généralement appliquées sur des domaines d’emprise limitée et sur des durées relativement courtes. Par contre, les méthodes stochastiques peuvent être mises en oeuvre sur des grilles dont la taille de maille est de l’ordre ou significativement plus grande que la longueur d’onde caractéristique des vagues, et elles utilisent des pas de temps également plus grands que la période des vagues, ce qui permet de traiter des grands domaines (mers continentales, océans, et couverture mondiale des mers et océans) et simuler des durées longues (plusieurs décennies pour les bases de hindcast de vagues). Le passage d’un formalisme déterministe à un formalisme stochastique repose cependant sur plusieurs hypothèses (homogénéité spatiale locale, fermeture statistique lors des opérations de moyennes des moments de l’élévation de surface libre, etc.), qui font que certaines propriétés des modèles de départ (en particulier les non-linéarités du champ de vagues) ne sont pas triviales à formuler et à modéliser précisément de façon stochastique.
Parmi les modèles à phases moyennées, les codes spectraux d’états de mer de 3ème génération, tels que WAM (WAMDI Group, 1988), WaveWatch-III (Tolman, 1991 ; Tolman et al., 2002), Tomawac (Benoit et al., 1996) ou SWAN (Booij et al., 1999), sont fondés sur une équation de flux de la densité spectro-angulaire d’action des vagues, et intègrent des modélisations (plus ou moins paramétriques) des processus d’apport d’énergie par le vent, de dissipation (par moutonnement, friction sur le fond, déferlement bathymétrique, etc.) et de transferts non-linéaires vague-vague au sein du spectre (cf. Cavaleri et al. (2007) pour une présentation complète de ce type de modèles).
Suivant les conditions de profondeur d’eau relative, ce ne sont pas les mêmes interactions qui sont dominantes. En domaine océanique et en profondeur d’eau intermédiaire, les mécanismes dominants sont des interactions résonantes de 3ième ordre, entre 4 ondes (quadruplets). Hasselmann (1962) et Zakharov (1968) ont établi un modèle mathématique pour ces interactions dans un cadre faiblement non-linéaire. Bien que le terme de transfert correspondant ne soit pas trivial à évaluer en pratique, des algorithmes existent pour le cas de profondeur d’eau infinie et sont utilisés opérationnellement dans les codes de 3ème génération mentionnés ci-avant (voir Benoit (2005) et le § 3 de Cavaleri et al. (2007) pour une comparaison de plusieurs méthodes).
Dans le cadre de travaux antérieurs (thèse d’Elodie Gagnaire-Renou, 2009), nous avons établi une méthode de calcul à la fois précise et efficace de ces interactions résonantes entre quadruplets en grande profondeur d’eau, ce qui a permis notamment d’améliorer la caractérisation des spectres de vagues (Gagnaire-Renou et al., 2010, 2011). L’algorithme de calcul développé, appelé Gaussian Quadrature Method (GQM), est très précis et efficace. Il a été implémenté dans le code Tomawac, et plus récemment dans le code WaveWatch-III (Beyramzadeh & Siadatmousavi, 2022 ; Alday & Ardhuin, 2023). L’algorithme actuel n’est cependant pas applicable en l’état au cas de profondeur d’eau finie et ne prend pas en compte les effets d’un éventuel courant ambiant. Ces extensions, accompagnée de validations et d’analyses physiques sur les effets de faible profondeur d’eau et d’un courant, constitueront le premier volet de la thèse.
Par ailleurs, en profondeur d’eau faible et en zone côtière, les interactions dominantes sont des interactions quasi-résonantes entre 3 ondes. Une revue de ces interactions (mécanismes physiques et modélisations possibles) est proposée dans le § 5 de Cavaleri et al. (2007). Ces interactions se manifestent notamment par l’apparition de pics à des fréquences multiples de la fréquence de pic fp du spectre (i.e. à 2fp, 3fp, etc.), la génération d’ondes longues infra-gravitaires dans les basses fréquences, et éventuellement l’apparition de nouveaux pics directionnels dans le cas de spectres bimodaux (i.e. spectres à 2 pics ayant chacun une fréquence de pic et une direction principale différentes). Un exemple d’évolution de spectres de vagues sur un cas unidirectionnel (mesures en canal à vagues) est présenté sur la fig. 3, extraite de nos travaux antérieurs (thèse de F. Becq-Girard, 1998).
Les interactions entre triplets de composantes sont étudiées par la communauté scientifique depuis 30 environ, d’abord sur la base de modèles de vagues déterministes, de type Boussinesq (e.g. Madsen & Sørensen, 1993 ; Kaihatu & Kirby, 1995) ou Laplace dans une cadre potentiel (e.g. Agnon et al., 1993). Toutefois, la formulation d’un terme de transfert pour les modèles d’états de mer stochastiques est un sujet encore largement ouvert, et pour lequel il n’existe pas à ce jour de formulation mathématique pleinement satisfaisante. On peut citer la thèse de Yasser Eldeberby (1996) ayant donné lieu à un modèle simplifié nommé LTA (Lumped Triad Approximation) (Eldeberky & Battjes, 1995), mais qui s’est révélé par la suite une approximation trop grossière sur les cas réels.
Sur ce sujet, Philippe Forget (MIO Toulon) et Michel Benoit ont encadré la thèse de Françoise Becq-Girard (1998), qui a permis de proposer un nouveau modèle, appelé SPB (Stochastic Parametric model based on Boussinesq equations), et intégré dans le code Tomawac (voir aussi Becq-Girard et al., 1998, 1999). Citons aussi les travaux de Herbers et Burton (1997), Polnikov (2000), Piscopia et al. (2003), ainsi que la formulation DCTA (Distributed Collinear Triad Approximation) de Booij et al. (2009). Plus récemment, la thèse de J. Salmon à TU Delft (Pays-Bas) a revisité ce sujet en repartant notamment du modèle SPB de F. Becq-Girard. Salmon et al. (2014) montrent notamment que ce modèle SPB, légèrement modifié et implémenté dans SWAN, donne de bien meilleurs résultats que le modèle LTA pour des spectres mesurés en zone côtière. Notre approche SPB constitue donc une base de départ solide, qui peut toutefois être améliorée à la fois en termes de précision et de qualité des résultats et en termes d’efficacité. Salmon et al. (2014) indiquent en effet que leur implémentation du modèle SPB demande beaucoup plus de temps CPU que la méthode DCTA de Booij et al. (2009). Cet axe constituera le second volet de la thèse.
2.2 Programme de travail de la thèse
Les travaux de thèse porteront sur les interactions vague-vague à 3 et 4 ondes en profondeur d’eau finie (mer continentale et domaine côtier) en présence de courant dans le cas général, en considérant d’abord des cas de profondeur d’eau uniforme, puis des cas de profondeur d’eau variable. La thèse couvrira les aspects suivants :
Les travaux de développements théoriques, puis d’implémentation numérique et de validation donneront lieu à des articles de revues scientifiques (cibles : Journal of Fluid Mechanics, Physics of Fluids, Journal of Physical Oceanography, Journal of Geophysical Research, Coastal Engineering, etc.) et à des présentations dans des conférences scientifiques internationales.
3. Références sur le sujet
4. Profil du ou de la candidat.e recherché.e
• Connaissances en mécanique des fluides à surface libre, hydrodynamique marine et génie océanique et, si possible, sur les états de mer et les vagues océaniques et côtières.
• Méthodes numériques de simulation en mécanique des fluides, et méthodes statistiques pour le traitement de séries de données océano-météorologiques.
• Sont également attendus un bon sens physique, de la motivation et le goût de travailler dans une équipe scientifique. Les candidat.e.s doivent être prêt.e.s à faire des calculs théoriques et à utiliser puis améliorer des logiciels de simulation existants. Un goût pour l’analyse physique et l’interprétation des mesures (séries temporelles de mesures de vagues, spectres de vagues, etc.) est attendu en complément.
5. Insertion professionnelle après thèse
Organismes publics ou privés de recherche, et sociétés intervenant dans les domaines de l’océano-météo marine, de l’ingénierie marine et côtière, des énergies renouvelables marines, etc.
6. Modalités, financement et candidature
La thèse sera financée sous le régime CIFRE opéré par l’ANRT (Agence Nationale Recherche Technologie) et se déroulera dans les locaux du Laboratoire National d’Hydraulique et Environnement (LNHE) et du LHSV, à Chatou (78), à l’ouest de Paris, sur le site d’EDF R&D. Voir plan :
https://www.edf.fr/sites/groupe/files/EDF_RechercheDeveloppement/edf_lab_chatou_plan_dacces_fr.pdf
La thèse se fera sous la direction scientifique de Michel Benoit, chercheur senior EDF & LHSV, HDR et ancien Professeur des Universités, 2015-2020). L’équipe encadrante comprendra également Maria Teles et Thierry Fouquet (responsable du code Tomawac), ingénieurs-chercheurs à EDF R&D.
Ce travail doit débuter à l’automne 2023 et s’étendra sur trois ans.
Le ou la doctorant.e sera employé.e par EDF en Contrat à Durée Déterminée (CDD) de 3 ans, et rémunéré.e, environ 2600 euros bruts mensuels (à préciser, en fonction du diplôme obtenu).
Les candidat.e.s souhaitant postuler sont invité.e.s à contacter Michel Benoit (michel.benoit@edf.fr) en joignant un CV et une lettre de motivation.
Directeur de thèse :
Michel Benoit, chercheur-senior, HDR ; professeur à l’Ecole des Ponts Tel : +33 6 81 34 35 90 - e-mail : michel.benoit@edf.fr https://scholar.google.com/citations?user=EiMB7SgAAAAJ&hl=fr
Co-encadrants de thèse
Postulez en remplissant le formulaire ci-dessous.
Important : pour faciliter leur traitement, nous n'acceptons que les candidatures électroniques.
Pour candidater, merci de remplir le formulaire ci-dessous.
Toutes les informations fournies par vous resteront confidentielles et ne seront ni divulguées ni mises à disposition d’un autre organisme sans accord préalable écrit de votre part. Selon la loi informatique et libertés, vous disposez d’un droit d’accès et de rectification aux données vous concernant.